20 Novembre 2005
Le procès historique de 21 dignitaires nazis, qui s'ouvrit à Nuremberg (sud) il y a soixante ans, le 20 novembre 1945, a été le premier procès de dirigeants d'un pays pour crimes de guerre et contre l'humanité, et a fait évoluer le droit international.
"Pour la première fois, les dirigeants de l'Etat ne pouvaient plus se réfugier derrière leur immunité", souligne Arno Hamburger, un responsable de la communauté juive de Nuremberg. Un an plus tard, en décembre 1946, le droit appliqué à Nuremberg devenait droit international, sous le nom de "principes de Nuremberg", qui ont récemment inspiré la création de la Cour pénale internationale.
Les hiérarques du régime nazi devaient répondre en l'absence de Hitler de trois chefs d'accusation: "crimes contre l'humanité", "crimes de guerre", "crimes contre la paix". A la demande des Etats-Unis, puissante occupante dans le sud de l'Allemagne, les Alliés choisirent pour abriter les audiences la ville des grands rassemblements du parti nazi, Nuremberg. "On ne peut pas oublier que c'était la ville de Hitler", souligne Reinhard Dörries, professeur d'histoire contemporaine à Nuremberg, qui souligne d'ailleurs que ce passé est mal vécu par les habitants actuels de la cité qui, "comme beaucoup d'Allemands, n'aiment pas trop se pencher sur le passé".
Le choix de Nuremberg s'était cependant heurté au refus de Staline, qui souhaitait l'organisation à Berlin d'un procès-spectacle et expéditif, à la manière soviétique. Pour arracher l'approbation du dictateur soviétique, Berlin fut décrétée siège officiel et fictif du tribunal.
A l'ouverture des audiences, en novembre 1945, les mesures de sécurité sont exceptionnelles, au point que des chars stationnent dans les rues, par craintes d'attaques du groupuscule nazi "Werwolf". Le tribunal est relié par un souterrain à la prison, où les détenus sont surveillés 24 heures sur 24, ce qui n'empêche d'ailleurs pas le numéro deux du régime, Hermann Göring, de se suicider par empoisonnement le 15 octobre 1946, à la veille de son exécution.
Sans leurs uniformes, les criminels nazis laissent une apparence grise et pitoyable aux spectateurs triés sur le volet admis aux audiences, dont quelque 350 journalistes et écrivains, parmi lesquels les Américains John Steinbeck et Ernest Hemingway, l'Allemand Erich Kästner, d'autres Allemands encore inconnus comme le futur super-espion est-allemand Markus Wolf et le futur chancelier social-démocrate Willy Brandt.
Dès le début de ce procès-fleuve - qui réunit un millier de collaborateurs autour de son organisateur le juge américain Robert Jackson, et dont les audiences sont traduites en allemand, anglais, français et russe - tous les accusés plaident "nicht schuldig" ("non coupable"). Mais un film tourné par les alliés occidentaux sur les camps de concentration en Allemagne donne rapidement la dimension du crime. D'autres films accablants suscitent une intense émotion, comme celui tourné par les Soviétiques sur les camps d'extermination d'Auschwitz et Maidanek.
Seul l'architecte de Hitler, Albert Speer, reconnaît une part de responsabilité, niant habilement avoir été au courant des plans meurtriers du régime. Il échappera à la peine capitale, qui sera prononcée pour onze de ses co-accusés. Des protocoles longs de 4 millions de mots, 7.300 mètres de films, 22 volumes, 1.500 pages, 300.000 témoignages sous serment, 6.613 pièces à conviction, 236 témoins entendus: Nuremberg fut le procès de tous les superlatifs.
De nos jours, la "Salle 600" où se tenaient les audiences, sert de cour d'assises. Néanmoins 20.000 visiteurs s'y rendent en moyenne chaque année. Des personnalités voudraient en faire aujourd'hui un lieu de souvenir.